jeudi 2 avril 2015 : Shakespeare ou l’insolence créatrice
par Gisèle Venet, professeur
émérite, spécialiste de Shakespeare, Sorbonne Nouvelle – Paris 3
On a longtemps prêté à Shakespeare un
savoir encyclopédique : philosophique, historique, biblique,
littéraire, linguistique, scientifique à l’occasion. Au point de faire oublier qu’il
appartenait en fait à une période de réécriture, de recyclage
culturel où toute « nouveauté » était d'emblée suspecte et tout
emprunt au contraire légitime, ce dont il abusa à plaisir.
Le maître mot des poètes de l’ère
maniériste et baroque (1530-1630) à laquelle il appartient, entre
Renaissance et Age classique, est l’imitation, mais chacun « à sa
manière » :
les modèles anciens légués par
l’Humanisme – Ovide, Virgile, Sénèque, Plutarque, Horace –
tout comme Pétrarque ou des auteurs italiens de « nouvelles » –
sont pillés par ces légitimes plagiaires dont le génie singulier
s’exerce alors dans la déconstruction insolente, la réinvention
agile, l’art du détournement, la mise en déséquilibre.
A l’instar du peintre Pontormo qui,
enfreignant l’art de la proportion selon Vinci, crée l’impression
que ses modèles - qui pourtant ravissent - vont s’échapper hors
du cadre de la toile et basculer dans le vide.
Dans ce contexte, il se pourrait que
Shakespeare, né en 1564 et mort en 1616, soit l’un des maîtres de
cet épisode maniériste et baroque en Europe, déconstruisant les
formes déjà stabilisées de la tragédie ou de la comédie pour les
mettre en déséquilibre « à sa manière », créant ces
indéfinissables catégories :
la « tragédie shakespearienne », la «
comédie shakespearienne » -, avec ses héros hors catégorie -
Hamlet, le plus insolent des princes, ou Falstaff, le plus surprenant
mentor auprès d’un futur roi - ou lui-même, poète des Sonnets,
subvertissant l’art d’écrire des sonnets.
à 14 h 30 Amphithéâtre
du lycée Duplessis-Mornay 1,
rue Duruy - tarif : 1, 3, 5 € - billetterie dès 14 h